MUSICA PRISCA CAPUT TENEBRIS MODO SUSTULIT ALTIS
L’ANCIENNE MUSIQUE A RÉCEMMENT RESURGI DES TÉNÈBRES
NICOLA VICENTINO
Présentation
Geoffroy Jourdain invite Francesca Verunelli à participer à la conception d’une œuvre commune, Strana armonia.
Ensemble, ils imaginent un parcours musical qui abolit toute chronologie, au sein duquel le temps de l’écoute se substitue au temps historique. Dans cet espace unique constitué de multiples issues et accès, les pièces de la Renaissance alternent avec les séquences d’une œuvre nouvelle commandée à Francesca Verunelli, de sorte que la création illumine la musique du passé, tout en s’y miroitant.
Programme
Création de Francesca Verunelli (1979-) : VicentinoOo (titre provisoire), création
Madrigaux de Nicola Vicentino (1511-1575/76), Luzzasco Luzzaschi (ca1545-1607), Luca Marenzio (1553-1599), Pomponio Nenna (1556-1608), Carlo Gesualdo (1566-1613), Scipione Lacorcia (actif entre 1590 et 1620), Sigismondo d’India (1582-1629), Michelangelo Rossi (1601/02-1656)…
Production Les Cris de Paris
Coproduction CCR d’Ambronay
Commande à Francesca Verunelli Les Cris de Paris & le CCR d’Ambronay
Note d’intention
Au milieu du XVIe siècle, les cercles de la Musica reservata, stimulés par les recherches sur la musique de la Grèce antique, se passionnent pour la composition dite « chromatique ». Des compositeurs et théoriciens, parmi lesquels Niccolò Vicentino, entreprennent de relier la théorie et la pratique musicale supposée de l’Antiquité avec la musique de leur temps, et élaborent des polyphonies presque impossibles à chanter avec justesse sans disposer de système pour ajuster les intervalles musicaux entre eux. Vicentino conçoit ainsi un clavecin et un orgue microtonaux : l’archicembalo, puis l’archiorgano, comprenant trente et une touches par octave, supposés permettre de recréer le genre « enharmonique » des grecs de l’Antiquité, et compose une musique sophistiquée, illustrative de ses recherches, qui influencera l’imaginaire des madrigalistes œuvrant comme lui à Ferrare, dont Luzzasco Luzzaschi et le célèbre Carlo Gesualdo, prince de Venosa.
Lieu de toutes les innovations, le madrigal est le genre poétique et musical privilégié des avant- gardes de la fin de la Renaissance. Il se prête aux ambitions de la seconda pratica, dont l’enjeu est de capter musicalement chaque nuance d’émotion du poème. Le figuralisme qui y fait autorité induit toutes les formes de libertés mélodique, rythmique et harmonique, et se traduit par un goût généralisé pour la dramatisation du discours musical.
Ses principaux représentants sont connus : Claudio Monteverdi, Luca Marenzio, Carlo Gesualdo…
La musique de ce dernier est immédiatement reconnaissable par son recours à un chromatisme exacerbé que l’on a considéré de façon un peu appuyée comme le témoignage direct des drames de sa vie. Or, Gesualdo n’était peut-être pas si isolé artistiquement que l’on a pu le fantasmer. Le mythe du créateur solitaire en proie à la folie jusqu’au plus profond de son art semble l’avoir emporté sur l’étude de l’environnement musical du prince de Venosa. En effet, dans le sud de la péninsule italienne, plusieurs compositeurs de l’entourage de Gesualdo soulignaient eux aussi les tensions et les oppositions de sens des poèmes par des procédés jugés extravagants. La musicologie récente pose de plus en plus la question de l’école napolitano-sicilienne : était-elle exclusivement composée de suiveurs de Gesualdo comme on l’imaginait jusqu’à présent ou, au contraire, de ses disciples, voire pour certains de ses maîtres ?
Leurs noms n’évoquent pas encore grand-chose aux mélomanes contemporains : Giovanni de Macque, Scipione Lacorcia, Pomponio Nenna, Hettorre della Marra, Ascanio Maione… On connait davantage dans les générations suivantes quelques continuateurs de ce style, comme Sigismondo d’India et Michelangelo Rossi, dont les madrigaux aux dissonances extrêmes constituent le chant du cygne de ce genre. Recherches et éditions de nombreuses œuvres inédites de ces auteurs, sont au cœur de l’élaboration du programme qui présentera une sélection de ces lectures.
Les Cris de Paris proposent une immersion dans cette avant-garde italienne mise en mouvement par Niccolò Vicentino, aux côtés de Francesca Verunelli, née en 1979.
Cette dernière, en s’emparant à son tour des possibilités harmoniques offertes par la division de l’octave en 31 intervalles, réveille le fantôme visionnaire de Vicentino à travers l’alternance de madrigaux anciens, interprétés dans une situation frontale classique, et une composition immersive, faite de transitions, de développements, de tissages entre les pièces du passé, pour laquelle les chanteurs, séparés les uns des autres et privés de leurs habitudes de perception, reproduisent à l’aide de casques des échelles de hauteurs inhabituelles.
Avec Strana armonia, Les Cris de Paris éprouvent une nouvelle fois comment le geste artistique contemporain permet de recevoir les œuvres du passé dans un contexte affranchi du poids de la tradition.